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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/190

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LA FEMME DU DOCTEUR.

Rien de plus irrégulier que les habitudes de Lansdell pendant cette période. Le cuisinier de Mordred déclara qu’une chose ressemblant à un soufflé était absolument impossible avec un homme qui demandait son dîner entre sept et neuf heures du soir. Le poisson était trop cuit, les rôtis trop fermes, et tous les bains-marie de Mordred ne pouvaient empêcher les sauces du cuisinier de figer. Ce digne artiste levait les épaules en contemplant les ruines de ses travaux, et il appliqua son attention à la composition d’un menu dont les meilleurs plats pourraient être servis froids. Il aurait pu s’épargner cette peine. Le jeune homme, qui, naturellement indifférent sur la composition de ses repas, n’avait que par vanité pure été poussé à dépasser le luxe insolent des gastronomes célèbres, savait à peine maintenant la nature des plats qu’on servait devant lui. Il mangeait et buvait machinalement ; il buvait peut-être un peu plus que de coutume de ces fameux vins de Bordeaux que son père et son grand-père avaient conservés. Mais le dîner, pas plus que les vins, ne lui faisait plaisir. Le vin ne l’égayait pas ; il restait sombre, assis devant sa grammaire arabe et se demandant ce qu’il allait devenir, maintenant que sa vie n’avait plus de but.

Il était dans son cabinet, assis en face de ce vieux portrait peint par Rembrandt, avec lequel il semblait avoir un air de famille et qui le regardait d’un air grave. Il était assis près d’une table sur laquelle était placée une lampe allumée. C’était une pesante soirée du mois de juin, et il y avait environ quinze jours que George était malade. La lumière de la lampe, — une lumière douce, discrète, obscurcie par un globe très-épais en verre dépoli, — tombait principalement sur