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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/191

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LA FEMME DU DOCTEUR

le livre ouvert, laissant dans l’ombre la figure du lecteur. Mais malgré cette ombre ce visage paraissait tiré et flétri, et ce quelque chose qui se voyait dans tous les portraits des Lansdell, — ce quelque chose qu’on remarque dans tous les portraits de Charles Ier d’Angleterre et de Marie-Antoinette de France, quels que soient le peintre et l’époque de la peinture, — était très-visible ce soir-là sur les traits de Roland. Il avait longuement réfléchi devant ses livres, car il avait à peine lu cinq ou six pages, depuis neuf heures, bien qu’il fût déjà onze heures et demie. Il allongeait le bras vers la sonnette dans le but d’appeler son valet de chambre et de débarrasser de la tâche d’une veillée plus longtemps prolongée ce gentleman qui bâillait tout seul dans la chambre de la femme de charge. À Mordred, les habitudes avaient toujours gardé la modération de l’époque de Lady Anna Lansdell : tous les domestiques étaient couchés à onze heures, à l’exception du valet de chambre de Roland. Au moment donc où Roland allait le sonner, celui-ci entra dans le cabinet.

— Monsieur veut-il recevoir une visite ? — demanda-t-il.

— Si je veux recevoir une visite ? — s’écria Roland, se retournant sur son fauteuil et regardant d’un air surpris le visage solennel de son domestique : — qui peut désirer me voir à pareille heure ? Est-il arrivé un malheur ?… Est-ce quelqu’un envoyé… de Lowlands ?

— Non, monsieur, c’est une dame inconnue, c’est-à-dire quand je dis inconnue, je crois, monsieur, bien qu’elle ait son voile baissé, et que ce voile soit très-épais, je crois, sans pouvoir l’affirmer à monsieur, que c’est Mme Gilbert, la dame du médecin de Graybridge.