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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/203

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LA FEMME DU DOCTEUR

Pendant toute cette entrevue, lord Ruysdale ne remarqua pas une seule fois l’expression fatiguée de la figure de son neveu ; cette expression sans nom qui donnait un caractère sombre à tous les portraits des Lansdell, et qui faisait que le désœuvré blasé de trente ans semblait plus âgé que ce gai gentilhomme campagnard de soixante ans.

Roland se rendit ce soir-là à Lowlands. Pourquoi n’aurait-il pas fait ce plaisir à son oncle ? d’autant plus qu’il importait fort peu qu’il fît n’importe quoi ou qu’il allât n’importe où, si tout dans le monde l’ennuyait. Il trouva au salon Gwendoline, qui avait un faux air de Marie-Antoinette dans sa demi-toilette de soie grise, avec une écharpe de dentelle noire couvrant ses magnifiques épaules et attachée par un nœud négligé derrière la taille. Raymond était assis dans un grand fauteuil de tapisserie, inventoriant une caisse de livres nouvellement arrivée de Londres et marmottant de dédaigneuses remarques sur leurs titres et leur contenu.

— Enfin ! — s’écria-t-il lorsqu’on annonça Lansdell. — Je suis passé à Mordred cinq ou six fois depuis deux mois ; mais comme vos gens me répondaient toujours que vous n’y étiez pas, et que je lisais sur leurs figures que vous étiez chez vous, j’y ai renoncé de désespoir.

Lord Ruysdale survint, tenant à la main le Times ouvert, et insista pour lire un article de fond, qu’il déclama avec une énergie extraordinaire et en appuyant particulièrement sur le commencement des phrases. Le dîner fut annoncé avant la fin de la lecture et Raymond conduisit Gwendoline à la salle à manger pendant que Roland restait pour entendre