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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/215

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LA FEMME DU DOCTEUR

Le demi-jour charitable le couvrit au moment où il se laissa tomber dans un fauteuil et se cacha la figure dans le large bras rembourré du meuble. Les larmes qui remplissaient ses yeux en ce moment étaient plus amères encore que celles qu’il avait versées deux mois auparavant sous le chêne de lord Thurston. Si, par l’effet de la violence de ses sentiments, un homme en arrive là, pareille chose ne lui arrivera pas une seconde fois dans sa vie. Heureusement pour nous, la faculté de souffrir, comme toutes les autres facultés, s’affaiblit et s’use à la fin, lorsqu’on l’a trop souvent mise à l’épreuve. Si Othello avait survécu et qu’il se fût remarié, il ne se serait pas évanoui si un nouveau Iago était venu lui murmurer des insinuations venimeuses sur sa femme.

— Je n’ai jamais aimé qu’elle, — murmura Lansdell, — je me suis montré cruel pour les autres femmes, mais j’avais foi en elle !

— Mon pauvre enfant, mon cher Roland, — dit Raymond avec douceur, — les hommes ne souffrent ainsi qu’une fois dans la vie. Courage et vous en serez débarrassé. Regardez en face le spectre hideux et il s’évanouira dans l’air ; une fois parti, vous redevenez homme. Mon cher enfant, avant la fin de cette année, vous prendrez l’absinthe, — une drogue abominable, — après un souper à la Maison-Dorée, et vous ferez à vos compagnons le récit satirique de votre caprice d’un instant pour la femme du médecin. Et Dieu me pardonne de parler comme le major Pendennis, ou tout autre mondain corrompu ! — ajouta mentalement Raymond.

Roland se leva et se dirigea vers la fenêtre. La pelouse était inondée de la lumière argentée de la