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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/224

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LA FEMME DU DOCTEUR.

Pas un des projets qu’il avait faits en vue de cet avenir impossible qui ne lui revînt à l’esprit ce soir-là. Les pays où il s’était vu jouissant d’un bonheur tranquille avec la femme qu’il aimait se dressaient devant lui sous leurs couleurs les plus séduisantes ; les jolis villages alpestres isolés dont il avait oublié les noms, émergeaient des brouillards épais de sa mémoire, éclatants comme une ville orientale qui surgit du sein des légères vapeurs nocturnes devant les premiers rayons du jour ; et il voyait Isabel accoudée sur un balcon rustique, surplombant les eaux d’azur d’un lac immense, caché à l’abri d’innombrables montagnes aux sommets couverts de neige. Ah ! combien de fois il s’était représenté ces choses, les promenades au clair de la lune par des nuits aussi belles que celle-ci, sous des cieux d’un bleu plus intense, éclairés par les rayons d’argent d’un astre plus grand, les mille sentiers et les nombreux ruisseaux qu’ils auraient visités et qui les auraient conduits de plus en plus loin du monde vulgaire et des pensées viles des gens du commun, à l’isolement parfait, moins la solitude !

— Et tout cela aurait pu être, — se disait Lansdell, si elle n’avait pas été une créature assez vile et assez dégradée pour s’attacher aveuglément à un amant vulgaire dont l’influence sur elle doit tenir évidemment à quelque coupable secret du passé.

Vingt fois pendant le cours de cette longue promenade nocturne, Roland s’arrêta une minute ou deux, hésitant s’il devait continuer ou non. Quel motif avait-il de chercher cet étranger descendu dans une auberge de campagne ? De quel droit se mêlait-il de l’intrigue vulgaire d’une femme coupable ? Si Isabel était la créature que l’on disait, — et il ne pouvait en douter,