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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/225

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LA FEMME DU DOCTEUR

— que lui importait à quel degré d’avilissement elle tomberait ? N’avait-elle pas repoussé froidement et délibérément son amour, — son dévouement qu’il lui offrait si loyalement et si solennellement ? Ne l’avait-elle pas laissé à son désespoir et à sa douleur sans autre consolation que cette promesse stéréotypée de penser à lui ? Que lui était-elle, qu’il se dérangeât pour elle et qu’il courût le risque d’appeler le mépris universel sur son nom en s’exposant à une querelle dans un lieu public ? Non, il n’irait pas plus loin ; il effacerait de son esprit le souvenir de cette créature, et il s’éloignerait du pays qui la recélait. Le monde ne s’ouvrait-il pas devant lui, et l’univers n’était-il pas créé pour son plaisir ? Y avait-il quelque chose sur terre qui lui fût refusé, excepté l’éclat mordoré des yeux noirs de cette femme ?

— Peut-être suis-je arrivé au moment critique de mon existence, — pensait-il pendant une de ces pauses, — et peut-être me reste-t-il encore quelque chance ? Pourquoi ne me ferais-je pas une carrière comme les autres hommes et n’essayerais-je pas comme eux d’être utile à mon prochain ? Il vaut mieux peut-être essayer toujours et ne réussir jamais que de se tenir éternellement à l’écart, gaspillant mon intelligence en de vains calculs sur les mérites respectifs du jeu et de la chandelle. Un spectateur indifférent ne peut juger des mérites de la lutte. Il peut paraître de peu de conséquence à un homme de mon tempérament de savoir qui, des Spartiates ou des Perses, fut vainqueur au passage des Thermopyles ; mais quelle chose glorieuse pour ceux qui y jouaient un rôle devait être l’animation et le bruit du combat ! Je commence à penser que c’est une erreur de s’asseoir paresseuse-