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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/23

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LA FEMME DU DOCTEUR

Mme Gilbert se décida pourtant à se lever au moment où le ciel au couchant resplendissait d’un éclat sans pareil. Elle se leva, parce qu’un esprit fatigué n’avait que peu de tranquillité à espérer dans cette chambre, à la porte de laquelle, de demi-heure en demi-heure une personne attentive venait demander à Isabel si elle était mieux, si elle voulait prendre une tasse de thé, si elle voulait descendre et se reposer sur le canapé, et la tourmenter par beaucoup d’autres questions de cette nature. Elle ne pouvait pas rester seule avec son chagrin. Tôt ou tard il fallait qu’elle descendît pour recommencer à vivre et regarder le monde désert qu’il ne peuplait plus. Puisque la chose était inévitable, mieux valait commencer tout de suite cette tâche fatigante et ennuyeuse. Elle se baigna le visage et la tête, elle lissa ses longs bandeaux noirs devant le petit miroir, derrière lequel le ciel étincelant l’éclairait de ses rayons rouges. Hélas ! combien de fois par une belle matinée s’était-elle assise devant cet antique miroir, pensant à lui, et à l’espérance de le rencontrer sur les bords du ruisseau, sous l’ombre changeante des chênes du Roc de Thurston. Et maintenant, c’était fini ; jamais, jamais, jamais elle ne le reverrait ! Sa vie était finie. Ah ! comme il avait été sincère sur les créneaux de la vieille tour en ruines ! et avec quelle amertume le souvenir de ses paroles lui revenait alors ! Sa vie était finie. Le rideau était tombé et les lumières étaient éteintes, et il ne lui restait plus rien à faire qu’à errer aveuglément sur la scène obscure, jusqu’à ce qu’elle rencontrât la trappe du vampire — la tombe ! Un pâle fantôme, avec une sombre chevelure, la regardait du miroir. Ah ! si elle pouvait mourir ! Elle pensa au ruisseau du moulin. La roue serait immobile, et l’eau dans