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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/238

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LA FEMME DU DOCTEUR.

et jeune gentilhomme campagnard, possédant un beau domaine et quinze mille livres de revenu, tout prêt à devenir son second mari, si la mort venait à dénouer le lien qui rattachait ; cette pensée ne pouvait trouver place au milieu de ces rêves tendrement poétiques qu’elle avait puisés dans ses livres. Une femme du monde, endurcie par l’expérience, aurait pu, dans cette chambre sombre, contempler le malade et penser, avec quelques remords, mais avec une sorte d’impatience, à ce qui pourrait arriver si la maladie avait une conclusion fatale. Mais cette pauvre enfant sentimentale, nourrie des fantaisies les plus délicates des poètes et des romanciers, n’avait pas de pensées aussi viles. La richesse et la position de Roland ne l’avaient jamais tentée ; elle n’était qu’éblouie ; elle n’y avait vu qu’une atmosphère radieuse et splendide provenant du dieu lui-même et faisant corps avec lui. Si, dans quelque rêve extatique, elle s’était vue, bien loin du monde vulgaire, unie à l’homme qu’elle aimait, elle s’était toujours représentée elle-même comme une adepte fervente, vêtue de mousseline blanche, agenouillée aux pieds de son idole et ayant des fleurs des champs dans les cheveux. L’idée qu’il avait quinze mille livres de revenu, un domaine superbe, ne troubla jamais de son influence grossière l’éclat de ses rêves ; elle n’était ni cupide ni ambitieuse. Ce désir de splendeur et d’éclat qui l’avait rendue envieuse du sort d’Édith Dombey, était uniquement une partie de ses aspirations vagues vers le beau ; elle désirait vivre au milieu de belles choses et s’embellir elle-même par leur influence ; mais que cette splendeur provînt d’un boudoir aristocratique de May Fair tout étincelant de tableaux de maîtres et de statues de marbre, de por-