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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/26

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LA FEMME DU DOCTEUR.

toute la bienheureuse journée, je pense que c’est cela qui m’a rendue malade.

— Je parie que c’est la salade de homard, — dit vivement Gilbert ; — j’aurais dû te dire de n’en pas manger. Je ne crois pas qu’il y ait quelque chose de plus indigeste que la salade de homard à la crème.

Sigismund regardait Isabel d’un air grave tandis qu’elle versait le thé et leur passait les tasses. La pauvre Isabel s’en tira assez bien, puis, quand elle eut achevé sa tâche, elle s’assit dans une embrasure de fenêtre, regardant vaguement les arbustes poudreux éclairés par la lune, pendant que son mari et leur ami fumaient leurs cigares sur le chemin, devant la maison.

Comment allait-elle supporter la vie dans ce chemin triste et poudreux ; — cette vie odieuse qui devait s’avancer à jamais, comme une barque pesante qui se glisse lentement à travers des plaines monotones sur les eaux noires et immobiles d’un canal ? Comment la supporter ? Toute la monotonie, toute la tristesse, toute la pauvreté nue, toute la nudité lamentable de cette existence se dressèrent devant elle avec plus de force que jamais, et la terreur de cette hideuse perspective tomba sur elle comme un coup appliqué par une main de géant.

Tout cela revenait. Oui, cela revenait. Pendant les deux derniers mois, cela avait cessé d’être ; cela avait été effacé, caché, oublié ; cela n’existait plus. La baguette d’un magicien avait passé au-dessus de la maison carrée du sentier poudreux, et à sa place s’était dressé un palais féerique ; un pays digne du palais s’était déroulé autour d’elle, paradis dans lequel elle se promenait la main dans la main d’un demi-dieu. L’image de Lansdell avait rempli sa vie, à l’exclusion