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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/27

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LA FEMME DU DOCTEUR

de toute autre image, animée ou inanimée. Mais le pays magique s’évanouit tout à coup comme un mirage dans le désert, comme à la dernière scène d’une pantomime, les flammes roses et rouges s’éteignent, dans une hideuse vapeur sulfureuse. Les dômes et les minarets mystiques se fondirent dans l’air ; mais les sables nus restèrent réels et désolés, s’étendant à jamais devant les pieds saignants du voyageur.

Dans toutes les pensées de Mme Gilbert il n’y avait nulle horreur ou aversion bien définie pour son mari. Il faisait simplement partie de la tristesse de sa vie, il était uniquement un élément triste de ce triste monde dans lequel Lansdell ne figurait pas. Il se montrait très-bon pour elle, et elle avait comme un vague sentiment de sa bonté, et s’en montrait reconnaissante. Mais son image ne hantait pas ses pensées. À des heures fixées il rentrait et prenait ses repas, buvait son thé, avec accompagnement substantiel de pain et de beurre et de hors-d’œuvre provenant du jardin ; mais pendant les deux derniers mois il était arrivé maintes fois que sa femme avait à peine conscience de sa présence. Elle était heureuse dans le pays des chimères, avec le prince de son éternel conte de fées, pendant que le pauvre George mâchait ses tartines beurrées et croquait ses radis trop gros. Mais le conte des fées était abrupt et cruel ; le prince avait disparu, le rêve était passé. Assise près de la fenêtre ouverte, les bras croisés reposant sur l’appui poudreux, Mme Gilbert se demandait comment elle allait passer sa vie.

Puis ses pensées revinrent au gouffre tranquille au-dessus du ruisseau du moulin. Elle se rappela l’après-midi d’été heureuse et chaude pendant laquelle Lansdell s’était trouvé à côté d’elle et lui avait parlé de la