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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/273

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LA FEMME DU DOCTEUR

Dans les mauvais rêves il en est toujours ainsi, — c’est toujours une chose cachée, impalpable qui oppresse le dormeur.

Les feuilles frissonnaient sous la chaude haleine des vents d’été, et les abeilles bourdonnaient autour des grandes plates-bandes. Au loin, le bruit de la cascade se mêlait aux autres bruits agrestes dans une douce confusion. Et il mourait ! Oh ! quels magiques effets d’ombre et de lumière sur les vastes pelouses ! quelles échappées ravissantes sur ces grandes clairières, où les longues herbes se balançaient doucement sous les vents inconstants, semblables aux petites lames de la mer pendant l’été ! Et il se mourait ! C’est un sentiment bien vieux que la résistance à cette idée que la mort peut exister sur une terre qui est si belle. Ève doit avoir éprouvé la plus grande partie des sentiments que ressentait Isabel, lorsqu’elle vit le ciel tropical, d’une sérénité splendide, recouvrir le cadavre d’Abel. Héro a dû trouver les perspectives bleuâtres des montagnes classiques presque aussi douloureuses à contempler que le corps de son amant noyé. Mais ce n’est que lorsqu’un Napoléon meurt qu’il se forme une tempête et que la foudre se condense dans les nuages ; que les jeunes arbres sont arrachés par l’ouragan, et que la désolation universelle marche à l’unisson de la terreur qui accompagne le dernier soupir d’un grand homme.

Il y avait au Prieuré de Mordred le même silence solennel qui avait régné dans la maison du médecin, à Graybridge ; seulement, au château, la solennité était plus grande dans ces pièces luxueuses et sombres qui se succédaient comme les salons d’un palais. Isabel voyait la longue perspective, non pas comme