Aller au contenu

Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/272

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
268
LA FEMME DU DOCTEUR.

au milieu de toute l’angoisse que faisait naître la pensée de sa mort, il lui semblait à peine étrange que Roland fût à la mort. C’était comme si la fin du monde fût brusquement survenue ; il importait peu de savoir qui périrait le premier. Son tour à elle ne tarderait pas à venir sans aucun doute.

Raymond rencontra Mathilda dans le vestibule et lui dit quelques mots avant de s’éloigner. La bonne femme fut douloureusement surprise du malheur qui frappait Lansdell. Elle avait très-mauvaise opinion du jeune et élégant châtelain du Prieuré de Mordred ; mais la mort et le chagrin chassent toute amertume du cœur d’une femme dévouée, et Mathilda fut assez femme pour pardonner à Roland le désir qui appelait la femme du médecin à son chevet. Elle monta au premier et redescendit avec le chapeau et le manteau d’Isabel et quelques objets de toilette ; Mme Gilbert se baigna le visage d’eau froide, et sa chevelure fut accommodée. Elle n’avait qu’à demi conscience de ces choses comme si elle avait agi sous l’influence d’un rêve. Raymond ne tarda pas à revenir ramenant l’antique fiacre de Graybridge dont le roulement était assourdi en passant dans la ruelle jonchée de paille. Isabel fut à demi portée dans le véhicule qui parcourut la grande route familière, passa devant l’antique auberge et son haut pignon, sur lequel les pigeons roucoulaient à l’envi comme s’il n’existait pas au monde quelque chose comme le chagrin et la mort, puis sous le grand portail gothique de l’antique monastère de Mordred. Tout cela semblait un rêve, un terrible cauchemar, hideux en raison d’un vague sentiment d’horreur plutôt qu’à cause d’une vision palpable présente aux yeux du dormeur.