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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/295

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LA FEMME DU DOCTEUR

conscience qu’elle était seule ; mais néanmoins ce sentiment singulier qui semblait tenir ses sens sous le charme persista encore. Ne savons-nous pas par le positif Walter Scott lui-même, écrivant à l’époque de la mort de sa femme, « que toute chose lui semblait un rêve, qu’il ne pouvait ni comprendre, ni saisir la terrible réalité ? » Est-il donc étonnant que la calamité qui avait si brusquement frappé cette enfant romanesque, lui produisît l’effet d’un rêve ? Il se mourait ! chacun le disait ; lui-même parlait tranquillement de sa mort, comme d’une chose prochaine et prévue, et personne ne le contredisait. Et cependant elle ne pouvait croire à la cruelle vérité. N’était-il pas là, lui parlant et lui donnant des conseils ? Son intelligence n’était-elle pas aussi lucide qu’au moment où il lui avait appris à critiquer ses poètes favoris pendant les belles journées d’été qui venaient de s’écouler. Non, mille fois non ; elle ne pouvait croire qu’il allait mourir.

Comme tous ceux qui ont vu la misère de très-près, elle se faisait une idée exagérée de la puissance de la richesse. Ces grands médecins, appelés de Savil Row et qui tenaient de solennels conclaves dans la bibliothèque, — ces médecins le sauveraient, ils ranimeraient cette flamme de vie prête à s’éteindre. À quoi servait donc la science médicale, si elle était impuissante à sauver ce malade ? Alors les prières qui avaient semblé si froides et si impuissantes lorsqu’elle les disait pour Gilbert, prirent une couleur nouvelle et semblèrent inspirées.

Elle écarta les rideaux et quitta le lit sur lequel on lui avait dit de dormir. Elle alla vers la porte et l’entr’ouvrit ; mais aucun bruit ne se faisait entendre dans