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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/30

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LA FEMME DU DOCTEUR.

breux cas de fièvres ; mais j’ai regardé le compte que j’avais préparé à son intention : cela ne monte pas à cinq livres. Je pense qu’il a l’habitude d’avoir affaire à des médecins qui demandent une guinée par visite. Je lui renverrai son chèque.

Isabel frissonna en écoutant les paroles de son mari. Combien cette discussion sur une question d’argent lui paraissait mesquine et vulgaire ! N’était-ce pas presque une insulte que ce chèque joint à cette lettre cruelle ? Qu’était-ce que son mari, sinon un commerçant, puisque entre lui et Lansdell il pouvait exister des questions de compte et de payement ?

Puis elle pensa à Clotilde et à la duchesse, — à la duchesse à la chevelure brillante et aux yeux bleus cruels. Elle pensa à « des colonnes de marbre brillant d’un éclat immaculé sur la pourpre de la nuit » et « aux rideaux écarlates brochés d’or, et aux beautés de haute naissance d’une froideur brillante. » Elle pensa à cette confusion de couleur, d’éclat, de parfums et de musique, accompagnements naturels des héros poétiques de Lansdell, et elle se demanda, en profonde humilité et contrition, comment elle avait pu, même pour un instant, se bercer de l’idée folle qu’il avait pu éprouver un sentiment éphémère de tendresse ou d’admiration pour un être aussi dégradé qu’elle. Elle pensa à ses robes si peu nombreuses qui n’avaient jamais l’ampleur de jupe nécessaire ; elle pensa à ses manches faites à la mode de l’année précédente, à son chapeau roussi par le soleil, à son ombrelle verte fanée comme une herbe malade à la fin d’un été brûlant. Elle sonda le gouffre qu’il y avait entre elle et Édith Dombey, et s’étonna de sa folie et de sa présomption.