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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/304

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LA FEMME DU DOCTEUR.

sans encombre, par le bateau à vapeur Washington se rendant à New-York. Arrivé à ce moment il disparaît de mon récit, comme la déesse de la vengeance peut disparaître de la scène classique lorsque sa tâche est accomplie. Lui aussi, n’en doutons pas, est attendu par une Némésis, qui se cache dans quelque détour caché du chemin sinueux que suit un coquin.

« Le calme réel est le calme du désespoir. » Isabel trouva enfin ce calme ; mais il fut longtemps à venir. Pendant longtemps il lui sembla que d’horribles ténèbres obscurcissaient l’univers ; ténèbres dans lesquelles elle se traînait à tâtons, cherchant un tombeau où elle pourrait se coucher et mourir. N’était-il pas mort ? Que restait-il dans l’univers, maintenant qu’il n’était plus ?

Heureusement pour ceux qui souffrent, nos grandes douleurs morales sont accompagnées d’une sorte d’insensibilité, de stupéfaction des sens qui, en quelque sorte, diminue la violence de la torture. Isabel fut longtemps sans pouvoir penser à ce qui s’était passé pendant ces dernières semaines si agitées. Elle restait immobile et les yeux secs dans le petit parloir tandis que les préparatifs funèbres se faisaient tranquillement autour d’elle, et que Mathilda et la jeune ouvrière, qui venait travailler à la journée à raison de dix-huit pence par jour, entraient de temps en temps pour l’arracher à son accablement, pour lui faire essayer des vêtements de deuil qui exhalaient une odeur de teinture et d’apprêt et qui laissaient des traces noires sur son cou et sur ses bras. Elle entendait le bruit horrible des ciseaux dans le crêpe et dans le tulle qui lui faisait l’effet de l’accompagnement monotone d’un