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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/35

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LA FEMME DU DOCTEUR

assez monotone, et je ne puis me défendre de penser que si vous vous occupiez un peu plus que vous ne faites, vous seriez plus heureuse. Supposons, par exemple, s’écria Smith évidemment radieux de l’importance de son idée, — supposons que vous écriviez un roman ! hein ? Vous n’imaginez pas combien cela vous rendrait heureuse. Regardez-moi. J’avais l’habitude de soupirer et de me lamenter, désirant tantôt ceci, tantôt cela : souhaitant dix mille livres sterling de revenus, ou un nez grec, ou quelque autre avantage mondain de cette nature ; mais depuis que je me suis mis à écrire des romans je ne pense pas que j’aie un désir que je ne puisse satisfaire. Il n’est rien que je n’aie fait… sur le papier. J’ai aimé et épousé les plus grandes beautés ; j’ai hérité de plusieurs fortunes, toujours inopinément et toujours au dernier moment, c’est-à-dire lorsque je me sentais disposé à piquer une tête dans la Serpentine par un beau clair de lune ; j’ai tiré les plus effroyables vengeances de mes ennemis ; quant aux meurtres que j’ai commis, ils feraient paraître la vie de Napoléon vulgaire et triviale en comparaison. Il est vrai que ce n’est pas moi qui me glisse dans l’escalier qui gémit sous mes pas, tenant dans ma main crispée un poignard qui jette un éclair bleuâtre en rencontrant un rayon de la lune qui filtre à travers une fente du volet ; mais assurément je m’amuse autant que si c’était moi. Et, si j’étais une jeune femme, — continua Smith avec une légère hésitation, et jetant à la dérobée un regard furtif sur Isabel, — si j’étais une jeune femme et… et que j’eusse une espèce de passion romanesque pour une personne à laquelle je ne devrais pas m’intéresser, je vais vous dire ce que je ferais… j’en ferais un roman, Izzie, et j’en tirerais