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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/40

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LA FEMME DU DOCTEUR.

blent pas des aspirations insensées vers l’impossible. Il caressait l’idée de changer un jour ou l’autre sa clientèle de Graybridge pour une autre plus lucrative et il parlait volontiers à Isabel de ce projet ambitieux ; mais elle prenait peu d’intérêt à ces projets. Dès l’abord elle en avait témoigné fort peu ; maintenant elle en montrait moins. À quoi bon ce changement ? Cela ne pouvait que lui donner un nouveau sujet d’ennui. N’était-ce pas quelque chose que de rester à frissonner sur le petit pont, au pied du chêne de lord Thurston si dénudé et si dépouillé maintenant ? N’était-ce pas quelque chose que d’apercevoir au moins les cheminées de Mordred, les groupes magiques des cheminées de briques rouges, se détachant en tons chauds sur le ciel glacial de décembre.

Mme Gilbert n’avait pas oublié le passage de la lettre de Roland dans lequel il mettait à son service la bibliothèque de Mordred. Mais elle ne se hâtait pas de profiter de l’avantage qui lui était offert. Elle reculait timidement devant l’idée de pénétrer dans sa maison, alors même qu’il n’y avait aucune probabilité qu’elle le rencontrât dans ses magnifiques salons, bien qu’il fût à l’autre bout de l’Europe, gai et heureux, et oubliant qu’elle existât. Ce ne fut que petit à petit, alors que plusieurs mois se furent écoulés depuis le départ de Lansdell, et que la tristesse de la vie qu’elle menait fut devenue de jour en jour plus oppressante, qu’Isabel trouva le courage de franchir le noble portail de Mordred. Elle prévint naturellement son mari de son dessein. N’était-ce pas son devoir ? Et George approuva d’un air de bonne humeur en disant néanmoins :

— Je crois cependant que tu ne manques pas de