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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/39

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LA FEMME DU DOCTEUR

Mais même ces faibles efforts vers la sagesse, — hélas ! comme il semblait que peu de temps se fût écoulé depuis qu’Isabel était une enfant, sujette à être corrigée par la seconde Mme Sleaford ! comme il semblait que peu de temps se fût écoulé depuis que ce mot « sagesse » signifiait laver sans murmure les tasses et les soucoupes, ou repriser un accroc triangulaire dans la jaquette d’un gamin ! — mais même ces faibles efforts vers la sagesse, disons-nous, cessèrent un à un, et Mme Gilbert s’abandonna à la sombre monotonie de son existence et se consola avec la pensée de Roland, comme un mangeur d’opium charme ses jours inquiets au moyen des visions splendides qui illuminent son extase abrutie. Elle se résigna à vivre, se montra soumise avec son mari, et lut des romans aussi longtemps qu’elle en put trouver à lire, pensant incessamment à ce qui aurait pu être, — si elle avait été libre et que Roland l’eût aimée. Hélas ! il n’avait que trop clairement prouvé qu’il ne l’aimait pas, qu’il ne l’avait jamais aimée. Il avait rendu la chose évidente par une preuve d’une cruauté trop significative, au moment précis où elle commençait à être ineffablement heureuse à la pensée que, d’une façon ou d’une autre, elle lui était plus chère qu’elle n’aurait dû l’être.

Les tristes journées de l’automne et les sombres journées de l’hiver s’écoulèrent lentement, et Gilbert entra et sortit, vaqua à ses occupations, prit ses repas, monta Brown Molly entre les deux rangées de haies dépouillées, sur les bords des ruisseaux gelés, aussi gaiement que pendant la belle saison, alors que ses courses le promenaient dans un jardin perpétuel. Il possédait une de ces natures heureuses que ne trou-