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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/51

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LA FEMME DU DOCTEUR

rappelant brusquement le médecin, elle s’essuya vivement les yeux avec son mouchoir.

— Vous m’avez tellement effrayée, monsieur Lansdell, — dit-elle, — que j’oublie que je suis fort en retard, que j’allais partir, et que mon mari va m’attendre. Il vient parfois au-devant de moi quand il a quelques instants de liberté. Au revoir !

Elle lui tendit la main en regardant Roland avec inquiétude. La méprisait-il beaucoup ? Voilà ce qu’elle se demandait. Il était sans doute revenu pour épouser lady Gwendoline, et un beau matin du mois de mai il y aurait un beau mariage. Il y avait juste le temps pour mourir de phthisie du mois de mars au mois de mai, pensa Mme Gilbert, et sa pierre tumulaire pourrait être prête pour l’occasion si les dieux qui prodiguent à leurs favoris le bonheur d’une fin prématurée voulaient seulement lui témoigner quelque bonté.

— Au revoir, monsieur Lansdell, — répéta-t-elle.

— Permettez-moi de vous accompagner un peu. Ah ! si vous saviez comme j’ai voyagé nuit et jour ; si vous saviez combien j’ai aspiré après ce moment et après la vue de…

La vue de quoi ?… Roland regardait le pâle visage de la femme du médecin en prononçant cette phrase incomplète. Mais parmi toutes les merveilles qui rendirent jamais merveilleuse la vie d’une femme, il ne pouvait certainement pas arriver qu’un demi-dieu daignât descendre des régions éthérées qu’il habitait ordinairement, à son intention à elle, se disait Mme Gilbert. Elle retourna chez elle à l’heure glaciale du crépuscule de mars, mais elle ne respira pas l’atmosphère insignifiante et commune du reste de l’hu-