Aller au contenu

Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
LA FEMME DU DOCTEUR

sommets des Pyrénées, ou les rives de l’Amazone, de savoir que les gens de Graybridge mêlent son nom à leurs cancans ! Quelles tortures sans nom pour celui qui parcourt les jolies îles de l’Archipel Grec, pour l’homme qui rêve sur les bords des mers d’azur du midi, de savoir qu’il a encouru l’improbation de Graybridge.

— Je crois qu’il est préférable que je me retire, Roland, — dit Raymond, regardant son parent d’un air de reproche et de tristesse et étendant la main pour prendre le chapeau et les gants qu’il avait déposés sur un fauteuil auprès de lui ; — je n’ai plus rien à faire ici.

— Vous ne me séparerez pas de la femme que j’aime, — répondit hardiment Roland. — Je suis un misérable, sans doute, mais je ne suis pas un hypocrite. Je pourrais vous mentir et vous renvoyer trompé et content. Non, Raymond, je ne ferai pas cela. Si je suis fou et coupable, je n’ai pas péché de parti pris. J’ai lutté contre ma folie et mon crime. Lorsque vous m’avez parlé un certain soir à Waverly, vous n’avez été que l’écho des reproches de ma propre conscience. J’ai suivi votre conseil et je me suis enfui. Je pensais que mon amour pour Isabel n’était qu’une folie éphémère qui disparaîtrait comme tant d’autres, grâce au temps et à l’éloignement. Je partis, fermement résolu à ne jamais la revoir ; alors, et seulement alors, je sus toute la sincérité et la profondeur de mon amour pour elle. J’errai de ville en ville ; mais je ne pouvais pas plus fuir son image que mon âme. En vain je disputai avec moi-même — comme tant d’autres hommes qui valaient mieux que moi ont fait avant moi — en vain je me prouvais que cette femme