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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/6

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LA FEMME DU DOCTEUR.

une heure de la sorte, si son vieil ami Raymond ne l’avait retenu.

C’est pourquoi il retourna directement au prieuré de Mordred, très-lentement, et perdu dans ses pensées : pensées amères sur lui-même et sa destinée.

— Si ma cousine Gwendoline ne m’avait pas trahi, j’aurais été un homme tout différent, — se disait-il. — Je serais aujourd’hui un homme posé et rassis ; j’aurais un fils à Eton et une charmante petite fillette blonde galopant sur son poney à mes côtés. Je crois que j’aurais été bon à quelque chose si je m’étais marié il y a longtemps, à la mort de ma mère, alors que mon cœur était prêt à recevoir la femme qu’elle m’avait choisie. Des enfants ! un homme qui a des enfants a des raisons pour être bon et pour faire son devoir. Mais rester isolé au milieu d’un monde dont on est fatigué, après avoir épuisé tous les plaisirs et perdu toutes ses croyances et n’ayant plus derrière soi qu’un lamentable chaos de souvenirs et devant soi une steppe aride d’années sans but et sans attraits ; — être absolument seul au monde, le dernier représentant d’une race autrefois brave et généreuse ; le seul rejeton épuisé d’un lignage coutumier de hauts faits et qui sut se conquérir un nom ; voilà qui est plein d’amertume !

Ce soir-là les pensées de Lansdell s’appesantirent sur son isolement plus qu’elles ne l’avaient jamais fait, depuis le jour où la mort de sa mère et l’inconstance de sa cousine le laissèrent à lui-même pour la première fois.

— Oui, se dit-il ensuite, je voyagerai de nouveau à l’étranger et je reprendrai encore une fois le triste et vieux sentier battu, — pareil au Capitaine