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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/7

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LA FEMME DU DOCTEUR

Fantôme de Marryat, ou au Juif-Errant. Je goûterai de nouveau la marée de chez Philippe ; j’achèterai de nouveau des bouquets rue Castiglione, je perdrai de nouveau mon argent à Hombourg, je tuerai de nouveau les crocodiles sur les bords du Nil, et j’attraperai encore une fois la fièvre en Terre-Sainte. Ce sera encore une fois la même chose, avec cette différence que cette fois ce sera de beaucoup plus ennuyeux.

Puis Lansdell se mit à penser à ce que sa vie aurait pu être si la femme qu’il aimait, ou plutôt la femme pour laquelle il avait un caprice sentimental, — il ne croyait pas que la prédilection qu’il ressentait pour Isabel fût autre chose que cela, — si la femme qu’il aimait, disons-nous, eût pu devenir sa femme. Il se représentait lui-même de retour, une année plus tôt, de ces fastidieuses excursions continentales. N’avait-il pas failli suivre cette idée une demi-douzaine de fois ? — tantôt se dirigeant vers son pays, tantôt s’éloignant davantage ; toujours indécis, mécontent et inquiet ; ennuyé de lui-même et des merveilles du monde, qui depuis longtemps avaient perdu la fraîcheur de la nouveauté. Il se représentait de retour dans le Midland une année plus tôt.

— Hélas ! — pensait-il, rien qu’une petite année plus tôt et les choses eussent été bien différentes ! Je serais allé à Conventford pour voir mon bon vieil ami Raymond, et là, dans le salon gaiement éclairé par le soleil, j’aurais trouvé une pâle jeune fille, à l’œil noir, penchée sur un livre d’étude, ou écoutant les mélodies décousues jouées sur le piano par une enfant.

Il se représentait cette scène, il la voyait entière, comme un joli tableau de salon. Ah ! comme les choses auraient été différentes ! Il aurait pu sans crime