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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/62

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LA FEMME DU DOCTEUR.

deviner, Roland, pourquoi vous m’avez toujours été, et vous devez toujours m’être aussi cher que mon propre fils.

— Oui, — répondit le jeune homme, en lui tendant la main, — vous aimiez ma mère.

— Oui, Roland, et je me tins à l’écart afin qu’elle épousât l’homme qu’elle aimait. Je la serrai dans mes bras et je la bénis le jour de son mariage dans cette église là-bas ; mais pas un instant, depuis ce moment jusqu’à celui-ci, je n’ai cessé de l’aimer et de la respecter. Toute ma vie j’ai offert mon culte à une ombre ; mais son image était plus près de moi et m’était plus chère que la beauté vivante des autres femmes. Roland, je puis sympathiser avec un amour perdu, mais non pas avec un amour qui cherche à déshonorer l’objet de son culte.

— La déshonorer ! — s’écria Roland ; — déshonorer Isabel ! Il ne saurait y avoir de déshonneur dans un amour comme le mien. Mais, voyez-vous, nous pensons différemment, nous voyons les choses à un point de vue différent. Vous voyez par les yeux des gens de Graybridge, vous pensez à un enlèvement, à un scandale, aux articles des journaux. Je ne reconnais que le droit immortel de deux âmes qui savent qu’elles ont été créées l’une pour l’autre.

— Pensez-vous jamais à votre mère, Roland ? Je me souviens avec quelle tendresse elle vous aimait et combien elle était fière des qualités qui vous rendaient digne d’être son fils. Pensez-vous jamais à elle comme si elle était encore vivante, ayant conscience de vos chagrins et compassion pour vos péchés ? Je crois, Roland, que si vous la regardiez ainsi, comme je le fais, moi, — car elle n’a jamais été morte pour moi ;