Aller au contenu

Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
LA FEMME DU DOCTEUR

ques paroles marmottées au mois de janvier dernier par un prêtre de Conventford puissent être assez fortes pour me séparer à jamais de la femme que j’aime et qui m’aime. Oui, elle m’aime, Raymond ! — s’écria le jeune homme dont le visage s’illumina d’un sourire qui donna à son teint brun le riche éclat d’un Murillo. — Elle m’aime, cette charmante et précieuse fleur, que j’ai trouvée épanouie dans l’isolement et inaperçue dans un désert…, elle m’aime ! Si j’avais découvert la froideur ou l’indifférence, la coquetterie ou l’affectation sous n’importe quelle forme le jour de mon retour, je serais reparti immédiatement ; j’aurais reconnu mon erreur et je me serais éloigné pour souffrir seul. Mon bon vieux Raymond, je sais qu’il est de votre devoir de me chapitrer et d’argumenter avec moi ; mais, je vous le répète, c’est peine perdue ; rien de tout cela ne peut me faire reculer. Efforcez-vous de me plaindre et de sympathiser avec moi, si vous pouvez. La solitude n’est pas en soi une chose si plaisante, et on ne marche pas isolé dans le monde sans une raison suffisante pour cet isolement. Il doit y avoir eu quelque chagrin dans votre vie, mon cher et vieil ami, quelque erreur, quelque désappointement. Rappelez-vous cela, et plaignez-moi.

Raymond resta quelques minutes silencieux ; il était assis le visage caché par sa main qu’un léger tremblement agitait.

— J’ai eu un chagrin dans ma vie, Roland, — dit-il enfin, — un chagrin profond et durable ; et c’est le souvenir de ce chagrin qui fait que vous m’êtes si cher ; mais c’était un chagrin dans lequel la honte n’avait point de part. Je suis fier de penser que j’ai souffert silencieusement. Je pense que vous pouvez