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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/67

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LA FEMME DU DOCTEUR

lade d’amour se fatigue de ce culte trop respectueux et veut escalader les cieux royaux pour contempler de plus près l’éclat de son étoile, d’où surgissent peines et confusion, et le sacrifice d’une tête à moitié folle.

Il n’y avait donc pas la moindre pensée de péril, pour elle-même et pour les autres dans l’esprit de Mme Gilbert, pendant qu’elle se tenait debout sur le pont jeté au-dessus du ruisseau du moulin, causant avec Roland. Elle avait une vague idée qu’elle ne remplissait pas précisément son devoir envers son mari ; mais l’image du pauvre George s’éloignait de plus en plus d’elle. Ne contentait-elle pas ses désirs, ne s’asseyait-elle pas à table en face de lui, et ne l’aidait-elle pas à mettre son pardessus dans le vestibule lorsqu’il sortait ? Pouvait-elle faire plus pour lui ? Non, lui-même avait refusé d’autres attentions. Une fois sous l’impulsion du sentiment de son devoir, elle avait essayé de brosser son chapeau, mais elle l’avait fait à rebrousse-poil, et s’était ainsi attiré le mécontentement de son mari. Elle avait tenté de lui lire des vers, et il avait bâillé pendant la lecture. Elle avait mis des fleurs sur la toilette — des fleurs blanches et délicates — dans un vase long et effilé, autour du col duquel elle enroulait un rameau de convolvulus, comme une guirlande autour d’une colonne classique ; mais Gilbert avait prétendu que les fleurs odoriférantes exhalent du gaz acide carbonique. Que pouvait-on donc faire pour un semblable mari ? Ses extases tendrement sentimentales, les émotions poétiques, les aspirations profondes qu’Isabel révélait à Roland eussent été aussi inintelligibles pour George que la langue sémitique. Pourquoi n’octroierait-elle pas cette autre partie d’elle-même à l’élu de son choix ? Si elle accomplissait ses