Aller au contenu

Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
62
LA FEMME DU DOCTEUR.

vert tendre ; il se dépouillerait pour refleurir encore, et Roland ne se fatiguerait pas d’errer sous son ombre épaisse. Elle n’avait que bien difficilement cru à la réalité splendide de son amour et de son culte ; mais une fois sa conviction faite, elle était prête à y croire à jamais. Elle se souvenait d’une légende sentimentale des bords du Rhin : l’histoire d’un chevalier qui, partant bien loin pour la guerre, passa pour avoir péri ; sur quoi la dame de ses pensées, au désespoir, entra dans un couvent et consacra au ciel le reste de ses malheureux jours. Mais enfin, le chevalier, qui n’était pas mort, revint et trouvant que sa fiancée était perdue pour lui, consacra le reste des jours à la constance et à la solitude ; il se construisit un ermitage sur un rocher qui dominait le couvent où sa belle et fidèle Hildegonde passait ses jours purs et pieux. Et chaque matin, dès que le premier rayon de lumière illuminait le ciel d’Orient, et tout le jour, et quand l’étoile du soir se levait, pâle et argentée du sein des cieux empourprés, l’ermite de l’amour s’asseyait à la porte de sa cellule, contemplant l’humble retraite où il s’imaginait voir sa chaste maîtresse agenouillée devant un crucifix, mêlant parfois son nom à ses prières. Et Roland, n’était-ce pas le nom du chevalier — son nom à lui ? C’était un amour semblable qu’Isabel croyait avoir conquis. C’est un amour comme celui-là qui est le plus cher désir des femmes, — un dévouement admirable, inutile, et romanesque, — une existence vouée au culte du regret et de l’amour. La pauvre et faible Marie d’Écosse accepte l’hommage poétique de Chastelar et se complaît à penser que le cœur du poète saigne au spectacle de sa grâce et de sa beauté, et qu’il restera ainsi éternellement saignant. Mais le poète ma-