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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/90

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LA FEMME DU DOCTEUR.

contre son idole. De ses lèvres seulement pouvaient venir les paroles assez puissantes pour détruire ses illusions. Elle resta éveillée toute la nuit, pensant à son entrevue avec Gwendoline, repassant sans cesse la scène entière, entendant les paroles cruelles retentir à ses oreilles, avec une fréquence lamentable pendant les lentes heures de l’obscurité. Enfin parut le pâle et triste crépuscule printanier, et Mme Gilbert s’endormit au moment où l’heure de se lever allait bientôt sonner.

Ce matin-là le docteur déjeuna seul, comme il avait dîné la veille. Il recommanda qu’on ne dérangeât pas Isabel. Un repos prolongé était ce qu’il y avait de meilleur pour la migraine de sa femme, dit-il à Mathilda ; ce à quoi la bonne femme ne répondit que par une sorte de reniflement, accompagné d’un mouvement de tête suivi d’un soupir plaintif, toutes choses qui furent inaperçues du médecin.

— Les femmes qui ont des migraines qui les retiennent au lit quand elles devraient assister aux repas de leur mari, ne devraient pas se marier, — fit remarquer Mathilda avec assez de sens, en reportant à la cuisine les ustensiles du déjeuner. — Je viens d’apprendre tout à l’heure qu’il est revenu au château hier soir très-tard et je parierais qu’elle sortira pour aller le voir cette après-midi, William.

Jeffson, qui fumait sa pipe du matin au coin du feu dans la cuisine, hocha la tête avec un air mélancolique en entendant la remarque de sa femme.

— C’est une mauvaise affaire, Tilly, — dit-il, — une mauvaise affaire d’un bout à l’autre. Si c’était un homme de cœur, il s’éloignerait du pays et dédaignerait de détourner une pauvre et naïve jeune femme