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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/102

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LES OISEAUX DE PROIE

Alors commença une vie nouvelle, faite de fraudes, de guet-apens, d’expédients honteux. Comme le loup-cervier rôde autour des bergeries, prêt à enfoncer ses griffes et ses crocs dans les chairs des pauvres agneaux sans défense, ainsi cet aventurier prit ses mesures, ses plans. Ses douces façons le servirent singulièrement dans l’exploitation qu’il fit de l’imprévoyance, de l’imprudence humaine. Désormais Horatio ne vécut plus qu’aux dépens de la faiblesse de ses semblables. Il y avait certainement de mauvais jours quand les moutons étaient lents à venir se prendre au piège. C’était chose assez commune pour le capitaine de tomber des splendeurs de Mayfair ou de Saint James, mais jamais il ne retourna à Tulliver’s Terrace, bien que Anna lui eût souvent demandé d’un ton suppliant de vouloir bien acquitter sa dette envers sa mère. Quand son mari était en fonds, il lui prenait la tête entre ses mains, la caressait et lui répondait au sujet du billet de Mme Kepp, qu’il verrait. Si, au contraire, sa bourse était maigrement garnie, il lui disait avec mauvaise humeur qu’il avait mieux à faire que de s’occuper des prétendus droits de sa mère, quand il ne savait lui-même comment il se tirerait d’affaire.

Le billet de Mme Kepp ne fut jamais payé, et jamais Anna ne put revoir sa mère. Mme Paget était une créature douce, aimante, mais essentiellement craintive et molle. Elle ne pouvait se résoudre à se retrouver en face de sa mère, sans lui apporter l’argent que lui devait le capitaine. Elle ne pouvait se résigner à affronter les reproches de la veuve, elle redoutait ses questions, ne savait comment elle y répondrait, avait peur de l’indignation de son cœur de mère. Son beau rêve, hélas ! avait été bien court ! Elle trouvait alors que sa mère