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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/122

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LES OISEAUX DE PROIE

comme moi qui peut parler d’amour ou demander à une femme de partager sa vie ? Et quelle joyeuse vie je lui préparerais, à la pauvre petite !

— Mais si cette femme vous aimait, elle vous aimerait d’autant plus que vous êtes plus malheureux.

— Oui, si elle était très-jeune, un peu toquée, et romanesque en diable, mais ne pensez-vous pas que je serais un monstre si j’abusais de sa toquade ? Peut-être pendant un an ou deux m’aimerait-elle assez pour supporter mes défauts ; mais un jour viendrait, et vite, où elle ouvrirait les yeux et comprendrait qu’elle a été mise dedans… comme on dit. Elle rencontrerait d’autres femmes, qui ne la vaudraient pas peut-être, mais qui auraient su tirer un parti plus intelligent de leur beauté ? Elle les verrait riches, heureuses, honorées, et dans les rues elle se collerait le long des murs pour ne pas être éclaboussée par leurs voitures. Et alors, bonsoir… elle comprendrait qu’elle a fait le plus bête des marchés en livrant sa jeunesse à un monsieur de ma trempe. Elle se mettrait à le haïr et n’aurait pas tort. Non, Diana, je ne suis pas aussi méchant que j’en ai l’air. Je suis dans la boue et je ne m’y trouve pas mal, mais y faire descendre pour toujours une femme qui ne connaît pas ce local-là, sous le prétexté que j’en serais amoureux ; non, merci… il y a encore quelques petites choses qui me dégoûtent… Eh bien, Diana, cette chose-là me dégoûte ! »

Cette conversation fut suivie d’un long silence pendant lequel Diana demeura assise en fixant d’un air étrange les lumières du Kursaal. Valentin alluma un second cigare et le fuma sans parler ; les horloges sonnaient onze heures lorsqu’il jeta le bout de ce second cigare ; sa lumineuse étincelle fit, au-dessous du balcon,