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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/151

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LES OISEAUX DE PROIE

affectueux, lui avaient été tout à fait inconnus. Demeurer assise dans une chambre où son père écrivait des lettres, irrité, maussade, ne la laissant faire ni un mouvement, ni dire un mot ; être envoyée chez un prêteur sur gages, à la brune, avec la montre du capitaine pour être grondée et secouée d’importance à son retour si le prêteur a avancé moins qu’on ne l’espérait, n’est pas, il faut le reconnaître, un très-noble et très-édifiant emploi de son temps. Diana n’avait cependant pas de souvenirs plus doux dans la partie de son enfance, où elle était retombée sur les bras de son père et où celui-ci s’ingéniait à trouver quelque nouvelle victime à qui il pût la confier ou plutôt l’imposer.

Pour la première fois, à la pension, la jeune fille sut ce que c’est que d’être aimée. Charlotte avait eu une fantaisie pour elle, comme on dit en langage de pension, et s’y était attachée avec une force de tendresse particulière. Peut-être cette douce influence vint-elle trop tard ou y avait-il quelque disposition naturelle de dureté ou d’amertume dans l’esprit de Diana ? Toujours est-il que l’affection de Charlotte ne put faire disparaître l’irritation jalouse qu’elle ressentait en mesurant l’abîme qui la séparait de ses compagnes plus heureuses, de celles dont les pères paient ce qu’ils doivent. Le contraste même entre la situation de Charlotte et la sienne était de nature à paralyser toute bonne influence. Il était bien facile pour Charlotte d’être généreuse et aimable. Elle n’avait jamais été tourmentée du matin au soir par d’acariâtres ménagères aux paroles irritées, où apparaissait la rage de travailler pour rien. Elle n’avait jamais su ce que c’est que de se lever le matin avec l’incertitude de savoir où l’on couchera le soir et même si l’on aura un gîte pour se reposer. Mais,