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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/149

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

je pouvais inviter mes amis à m’accompagner. Mademoiselle Cushman est une actrice toute de force et d’énergie, mais elle n’a pas assez de charme féminin, son jeu est trop uniforme, surtout dans les tons doux. Cette réflexion m’est suggérée principalement par son rôle de Meg-Merrilies, création terrible. Mademoiselle Cushman a représenté seulement la sorcière et ce qu’elle a d’épouvantable dans sa nature. Mais ces espèces de nature ont des moments et des traits d’une grande beauté, du soleil, du calme, de la rosée, des chants d’oiseaux. La Meg-Merrilies de mademoiselle Cushman est un roc dans la mer, constamment battu par la tempête, et luttant contre la mer et les flots ! Elle est aussi trop dure, trop masculine dans lady Macbeth et ne m’a paru belle que dans la scène de la nuit, par le cri d’angoisse et gémissant qu’elle pousse en voyant qu’elle ne peut laver le sang dont ses mains sont couvertes. Je n’oublierai jamais ce cri ; il m’a traversé la moelle et les os, — je l’entends encore, je l’entendrai toujours dans les heures et les visions obscures. Mademoiselle Cushman m’a beaucoup plu de sa personne. On voit clairement en elle une âme loyale, énergique, prenant la vie et sa vocation au sérieux. C’est en luttant contre de grandes difficultés qu’elle s’est frayé une route vers la place qu’elle occupe maintenant, avec l’assentiment de tous et en jouissant de l’estime générale. Elle est d’une vieille famille puritaine, et du moment où son père a été ruiné, elle a soutenu par son talent sa mère, ses frères, une sœur plus jeune qu’elle. Mademoiselle Cushman est presque mieux à la ville que sur la scène ; ses yeux bleus pleins de loyauté, son front raisonnable, l’expression franche, probe de sa personne, de ses paroles, tout cela réuni fait qu’on aime à se trouver avec elle.