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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/304

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LA VIE DE FAMILLE

contradictoires pour se convaincre que les esclaves sont les gens les plus heureux du monde, ne désirent pas une autre position, d’autres rapports que ceux où ils se trouvent. Pour un grand nombre, et à certains égards, ceci est vrai et peut avoir lieu plus souvent qu’on ne veut le croire dans les États du Nord ; mais les rapports malheureux ne manquent pas, et il y a dû en avoir assez pour faire haïr l’esclavage. J’ai eu sur ce sujet quelques entretiens qu’on peut résumer ainsi :

L’HABITANT DU SUD. — Mademoiselle Bremer, le bruit court que vous êtes abolitioniste.

MOI. — Oui, je le suis, et vous l’êtes probablement tous comme moi.

L’habitant du Sud écarquille les yeux.

MOI. — J’ai la certitude que vous souhaitez la liberté et la félicité de l’espèce humaine.

L’HABITANT DU SUD. — Ou… ou… oui… oui… mais… mais.

Et alors viennent une foule de mais destinés à prouver la difficulté, l’impossibilité de rendre la liberté aux nègres esclaves. J’accorde volontiers la difficulté, mais non pas l’impossibilité. Évidemment il faut une préparation ; elle a été longtemps négligée. Il y a dans cette ville un homme aux nobles sentiments, qui pense comme moi sur ce sujet, et prépare l’émancipation en initiant les nègres au christianisme. Autrefois leur instruction a été scandaleusement négligée, ou plutôt arrêtée ; les lois de l’État défendent d’apprendre à lire et à écrire aux esclaves, et même pendant longtemps il a entravé leur instruction religieuse. Mais des temps meilleurs sont déjà venus et paraissent encore venir. Dans les familles, on apprend souvent à lire aux esclaves des plantations parcourues par les