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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/351

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

prendre tout ce que je voulais savoir ? N’étais-je pas libre et légère comme un oiseau ? Mon âme avait des ailes, et le monde entier m’appartenait. C’est précisément parce que je suis seule, parce que je marche seule dans ce vaste monde, à la garde de Dieu, que je fais société avec lui, et c’est ce qui me donne un sentiment inexprimable de vigueur et de joie, en ne sachant pas où je vais, où aboutiront mes courses solitaires et de découvertes.

Cette fois, cependant, je ne marchais pas tout à fait sans but ; je savais que, dans un endroit quelconque, en dehors de Mâcon, devait se trouver un nouveau cimetière appelé « Rose-Hill, » et j’avais mis dans ma tête de le découvrir. Mais, la route que je suivais me paraissant aboutir à l’océan Pacifique, je me décidai à demander des renseignements dans une maison que je vis sur une colline, à peu de distance du chemin. C’était l’une de ces petites fermes en bois, blanches, bien construites et agréables, que l’on rencontre si souvent dans les campagnes américaines. Je frappai à la porte, elle me fut ouverte par une personne qui faillit m’effrayer ; c’était une jeune femme, passablement jolie, mais qui avait un air de mauvaise humeur si épouvantable, que — cela me fit mal. Elle paraissait profondément dépitée, triste, et me dit de marcher tant que durerait la route, ou à peu près. Je continuai donc ma course, presque surprise de trouver, par un si beau matin, dans une nature si belle, si empreinte de jeunesse, un esprit humain non harmonique. Hélas ! les défauts de caractère sont toujours les mêmes et peuvent partout, répandre l’amertume sur la vie, fermer de nouveau les portes du paradis.

Mais les impressions tristes ne voulaient pas séjourner en moi ce matin. Je continuai à m’avancer sur cette route,