Aller au contenu

Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
346
LA VIE DE FAMILLE

plus de se servir soi-même ; mais le maître ou la maîtresse de maison, un oncle, une tante ou toute autre personne polie, ou bien un domestique, — toujours un nègre dans le Sud, — sert sur votre assiette, il est donc rare d’avoir ce qu’on veut, et que ce soit placé comme vous l’entendez. Par exemple, on demande : « Voulez-vous du beurre ? — Oui, merci. » Il vous en arrive sur la pointe d’un couteau, on le dépose sur le bord de l’assiette, et je suis toujours tourmentée par cette pensée : « C’est là, sans doute, qu’a été le pouce du serviteur. » Ensuite : « Voulez-vous du poisson ou de la viande… du poulet, du dindon ? — Du poulet, s’il vous plaît. — Y a-t-il un morceau que vous préférez ? » Et puis : « Voulez-vous des conserves au vinaigre — Non, merci. » (Silence et calme pendant deux minutes.) Une personne à ma gauche découvre que je n’ai pas de conserves, et il m’en arrive de ce côté : « Puis-je vous offrir… — Non, merci, pas pour moi. » Au bout d’une couple de minutes, une personne à ma droite s’aperçoit que je n’ai pas de conserves, et s’empresse de me tendre l’assiette ; « Est-ce que vous ne voulez pas de conserves ? Non, merci ! » J’ai commencé une conversation intéressante avec mon plus proche voisin ; au moment où je vais lui adresser une question importante, une personne en face de moi s’est aperçue que je n’ai pas de conserves, et l’assiette qui la contient m’arrive en travers de la table, me provoque à une défense légitime et m’oblige de répéter : « Non, merci. » Je continue ma conversation ; mais, à l’instant où j’écoute une réponse du plus haut intérêt, arrive le domestique avec l’assiette de conserves au vinaigre, la passe sur ma tête, l’abaisse entre moi et le voisin avec lequel je cause, et je vois avec effroi la conserve sur le point d’envahir mon assiette ; cette persécution finit par me dés-