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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/394

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LA VIE DE FAMILLE

Lee, » « Oh ! Suzanne, » « Chère May, » « Reconduisez-moi dans l’antique Virginie, » « Mary Blanc, » qui est d’une tendresse touchante, paroles et musique. Du reste, les paroles ne soutiennent pas l’épreuve comme la musique ; souvent elles sont niaises, et contiennent beaucoup d’expressions et d’images extravagantes ; mais il arrive parfois qu’on y trouve les tours les plus poétiques, des transitions, des situations hasardées et heureuses, comme dans les chants les plus anciens de nos Scandinaves.

D’ordinaire ces chansons nègres sont des ballades, ou plutôt des romances où l’on voit le tableau des aventures amoureuses du peuple, des particularités de sa vie privée. On n’y trouve pas de fantaisie, pas de fond sombre et légendaire comme dans nos chants, mais en revanche beaucoup de sentiment et une appréciation naïve et souvent humoriste du moment présent et de ses rapports. Ces chants sont nés sur les chemins pendant les courses des esclaves, sur les rivières tandis qu’ils voguent dans leurs canots, ou bien lorsqu’ils conduisent des trains de bois en descendant les courants, et surtout pendant les moissons ; elles remplacent pour les nègres le festin de fenaison chez nos paysans, qui chantent alors en impromptu tout ce qu’il y a de plus haut placé dans leur cœur ou leur esprit. Toutes ces chansons sont, à proprement parler, des improvisations qui ont pris racine dans la mémoire et dans l’oreille des nègres, et ont été répétées par le chant, jusqu’au moment où des blancs, qui savaient la musique, les ont apprises et notées. Ces improvisations continuent encore ; il est facile de connaître leur origine, car ce sont des enfants de la nature, du hasard, l’expansion de la joie et du chagrin d’une race naïve. La rime vient comme elle peut, tantôt pesante, tantôt fraîche et complète, tantôt il n’y en a pas. Le rhythme