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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/409

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

pain blanc et de la mélasse. Deux barques étaient déjà remplies de monde, de paniers, de cruches : tout cela s’était fait en habillant et riant joyeusement ; mais on attendait encore du monde, et j’entendis appeler Adam, Aaron, Sally et Méhala, Lucy, Abraham, Sarah ! Nous causâmes avec les nègres qui étaient encore sur la rive, et leur demandâmes à qui ils appartenaient, s’ils étaient bien. Deux d’entre eux ne pouvaient tarir sur l’éloge de leurs maîtres, et nous racontèrent tout ce qu’ils en recevaient ; en revanche, ils dirent du mal d’un planteur du voisinage. « Je crois que vous vous permettez des propos sur mon maître, » dit un jeune nègre avec un peu d’irritation et s’approchant avec un geste menaçant, qui fit sur-le-champ changer de ton aux autres. « Non, assurément, nous n’avons rien dit, sinon que nos maîtres… » Mais ils furent interrompus par le chevalier du planteur en question ; il assura que son maître n’était pas plus mauvais que le leur, etc., etc. On entendit appeler dans ce moment à grands cris Sally, Nelly, Adam, Abraham, Aaron ! On les vit tous paraître avec je ne sais combien de fils et de filles d’Adam, de couleur, accourant, descendant avec des cruches, des corbeilles, des bouteilles, sur le rivage, et de là se jetant dans les bateaux en criant, parlant, riant à haute voix. Il m’est impossible de dire comment le tout entra dans les bateaux, hommes, femmes, mélasse, paniers, cruches, sans ordre ni façon, sans rime ni raison dont je pusse me rendre compte. Je ne faisais que les regarder tout ébahie. On aurait dit une masse confuse de bras et de jambes, de têtes formant une mêlée noire ; mais elle était joyeuse, tout se passa avec bonhomie, et l’on partit de même. Cette masse noire se calma, et les bateaux quittèrent le bord ; on vogua un peu en zigzag dans le ca-