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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/410

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LA VIE DE FAMILLE

nal ; on entendit des causeries et des éclats de rire d’un bateau à l’autre ; des dents blanches brillèrent dans l’obscurité. Mais, lorsqu’ils furent plus avancés sur la rivière, les rames frappèrent des coups réguliers dans ces eaux éclatantes comme un miroir ; alors commença le chant : la confusion du chaos fut remplacée par la plus belle harmonie.

Un trait particulier de ces enfants de la nature, c’est leur esprit aristocratique ; j’ai toujours considéré les enfants de la nature comme des aristocrates innés. Les nègres se pavanent d’appartenir à des maîtres riches, et regardent le mariage avec le serviteur d’un maître moins riche comme une grande mésalliance. Ils tiennent à la richesse de leurs maîtres comme un comte autrichien à ses quartiers.

Ce qui s’oppose le plus à l’émancipation des noirs comme peuple et en masse, c’est leur manque de nationalité, d’unité. Ils ont l’esprit de famille, de parenté (et peut-être de tribu là où celle-ci existe encore en Afrique) ; mais ils n’ont pas de souvenirs communs et aucune tendance comme peuple ; les tribus et les petits royaumes de l’Afrique le prouvent également. Croire que les esclaves libérés de l’Amérique pourront perpétuer au delà des mers à Libéria la civilisation républicaine américaine, c’est, je crois, une erreur ; ils semblent faits pour les petites sociétés monarchiques. Ils possèdent au plus haut degré le sentiment religieux, seraient faciles à gouverner, et aimeront à l’être par une personne supérieure de sa nature. C’est pourquoi je vois l’idéal de la vie comme peuple, pour les nègres, dans les petites sociétés ennoblies par le christianisme, régularisées autour d’un chef prêtre ou roi, ou l’un et l’autre à la fois.

La population esclave du Sud grandit journellement