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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/417

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

noir appelé Roméo ; il habite une petite maison dans un jardin près de la demeure de M. Howland, le soigne ou plutôt le bouleverse à son gré. C’est le vieillard le plus gai et le meilleur enfant que l’on puisse se figurer ; il a une bonne dose d’esprit naturel. Il a été enlevé de l’Afrique dans la force de l’âge et raconte avec une délicieuse naïveté des histoires sur sa patrie. Je lui ai demandé un jour ce qu’on pensait dans son pays sur la vie après la mort. Il répondit que « les bons allaient rejoindre le Dieu du ciel qui les avait créés. — Et les méchants ? dis-je. — Ils passent dans le vent, » et Roméo souffla autour de lui dans toutes les directions. Je lui fis chanter une chanson funèbre éthiopienne : c’était monotone et sur trois semi-tons ; puis une chanson d’amour africaine : — elle paraissait assez grossière et nullement ravissante. J’ai dessiné le portrait de ce vieillard dans mon album pour te l’apporter ; mais il riait tellement, était si confus de ce que je le peignais, qu’il m’a été difficile de me rendre compte de sa figure. Je l’ai représenté avec le costume ordinaire des esclaves : vêtements gris et bonnet de laine tricoté.

Ma rencontre avec le peuple nègre et la forêt primitive m’a impressionnée d’une manière toute spéciale, et mon regard a été agrandi par la richesse des formes dont le Créateur se sert pour exprimer sa vie. La terre me semble un grand symbole, un poëme dans lequel les différentes espèces d’hommes, de plantes, d’animaux, l’eau, les continents, forment des groupes de chants et de pensées, dans lesquels nous devons étudier le style du grand maître, son idée, son intention, son système. Mon esprit déploie ses ailes et plane — seulement en imagination, hélas ! au-dessus des déserts et des paradis de l’Afrique, des contrées glaciales de la Sibérie, du magnifique pays des Indous, enfin