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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/416

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LA VIE DE FAMILLE

viter l’une des sœurs à prier. Une femme âgée, maladive, ne tarda point à prier à haute voix, et prononça une action de grâces évidemment fervente pour la consolation que donne l’Evangile du Christ, et ce qu’elle disait sur la force qu’il lui avait donnée durant ses longues souffrances était véritablement touchant. Mais la prière fut trop longue, elle tournait dans le même cercle, et chaque soupir était accompagné de l’abaissement du poing sur le banc. Aussi, quand elle eut fini et qu’une autre sœur fut invitée à prier, l’orateur ajouta : « Que ce soit court, s’il vous plaît. » Cette nouvelle prière fut encore plus longue que la précédente, avec force répétitions et coups de poing sur le banc. La troisième sœur invitée à prier reçut cet avertissement laconique, mais décidé : « Qu’elle soit courte ! » Et lorsqu’elle s’égara sur la route des autres, le prédicateur, pressé de parler, l’interrompit sans cérémonie. C’est seulement pendant les chants, et celui que l’un des nègres avait composé (on chantait en canons, et le nom de Jérusalem y était souvent répété), que la réunion s’anima. C’était plaisir d’entendre ces nègres chanter de toute leur âme et de leurs corps aussi, car ceux-ci se balançaient, les têtes faisaient des signes, les pieds frappaient le plancher, les genoux, les coudes, les mains remuaient en mesure, suivant le ton et les paroles qu’ils chantaient, et avec un ravissement visible. Il faut voir les nègres chanter si l’on veut comprendre leur vie. J’ai vu leurs imitateurs, les soi-disant « chanteurs noirs, » qui courent le pays peints en nègres et chantant à la manière des noirs, avec les mêmes gestes, dit-on. Mais il n’y a rien de plus profondément différent ; car la partie essentielle de la ressemblance leur manque, c’est-à-dire la vie.

L’un de mes plaisirs ici, c’est de causer avec un vieux