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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/73

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

le temps me laissait le loisir et le repos nécessaires. Je vais te dire comment ma vie se passe, en procédant avec plus d’ordre que je ne l’ai fait en Danemark. Les impressions que je reçois sont plus grandes, plus massives ici ; c’est une espèce de bloc, si je puis m’exprimer ainsi. Je n’ai pu parvenir encore à les dominer, à les manier, ni trouver de paroles pour les exprimer. Je pressens des figures dans ce bloc ; il faut du temps et du travail pour qu’elles en sortent.

Mais une chose est certaine : l’effet produit sur moi par mon voyage en Amérique a déjà pris le tour le plus décidé, sa nature est tout autre que je ne m’y attendais. Je suis venue ici pour respirer un air vital plus frais, pour étudier la vie de ce peuple, les institutions d’un État nouveau, pour avoir des idées plus nettes sur certaines questions relatives au développement de l’État et de la nation, surtout pour étudier les femmes, la vie de famille dans le Nouveau-Monde, et connaître l’avenir de l’humanité en prenant mon point de vue au seuil du foyer. Les sources du ciel forment les fleuves ; de même la vie des peuples et leurs destinées dépendent de la vie cachée du foyer domestique. Je suis venue, en un mot, pour m’occuper d’affaires générales, et c’est la vie privée, ce sont les individus qui captivent surtout mon intérêt, mes sentiments, mes pensées. Je suis venue avec le dessein secret de me détacher du roman et de ce qui le constitue, de songer uniquement à un autre but, et me voilà forcée de m’en tenir au premier plus fortement que jamais, forcée sans rémission, par mes pensées et mes sentiments, à donner la vie à des formes, des tableaux, des rapports qui se sont agités dans l’ombre et l’arrière-plan de mon âme depuis une période de vingt ans. Dans ce pays soi-disant de la réalité (qui a