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Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/12

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cerveau a pris un développement correspondant à une pensée plus ou moins réfléchie. À ce moment, ils sont devenus des hommes, au moins quant à l’organisation et à la forme extérieure. Mais ils n’ont pas encore acquis ce qui constitue la grandeur et la dignité de l’homme, la moralité et la religion. Ces dernières facultés ne doivent venir que plus tard. L’homme primitif n’est donc humain que par le corps et par un commencement d’intelligence ; il est encore animal et bestial quant au cœur et à la conscience.

Voici le tableau peu flatteur, selon les docteurs de l’école que je combats, de nos premiers aïeux[1].

Les hommes primitifs vivaient à l’état absolument sauvage, sans autre pensée que d’assouvir leurs appétits et de satisfaire immédiatement leurs caprices et leurs passions. Chez eux, point de propriété, chacun s’empare de ce qu’il peut, point d’idée de justice ni de bienveillance mutuelle, chacun use et abuse de sa force et n’est contenu que par la crainte de la vengeance d’un être plus fort que lui. Point de famille régulière, les mâles et les femelles vivent dans une promiscuité absolue, s’unissent au hasard et se séparent dès que leur caprice est passé ; les enfants, nourris dans leur bas âge par leur mère, s’en éloignent de bonne heure, dès qu’ils ont la force suffisante pour se procurer leur nourriture par la chasse ou la pêche. Point de religion, l’idée de Dieu est inconnue, celle de la vie future n’apparaît qu’en germe sous forme de la crainte des revenants[2].

Il n’est pas besoin de dire que ce tableau est purement hypothétique ; les hommes primitifs n’ont laissé aucune histoire, et la supposition que les sauvages les plus dégradés de nos jours est l’image de nos premiers aïeux est purement arbitraire. J’aurai l’occasion, plus tard, de revenir sur ce point. Aujourd’hui, il faut que j’explique comment, selon le système évolutionniste, les nobles et belles idées qui donnent à la vie humaine son charme et son prix sont sorties de cette affreuse barbarie.

Trois principes concourent, selon ce système, à la formation de l’idée du bien et du mal : le principe de l’intérêt personnel, l’instinct social et l’hérédité.

Naturellement et à l’origine, tout animal, et l’homme qui est un animal de même nature que les autres, cherche ce qui lui est agréable ; il est conduit par ses sensations il se jette sur l’objet qui lui convient ; il se précipite sur la nourriture ou la boisson dont il a besoin ; il ne cherche qu’à satisfaire brutalement ses appétits.

  1. Herbert Spencer, The Data of Ethics, chap. VII. Principe of sociology, p. III, chap. III.
  2. Herbert Spencer, Principles of sociology, chap. X et XI.