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Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/22

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Le principe de la morale de M. Guyau, c’est que la vie doit être, au point de vue physique et mental, la plus intensive et la plus extensive possible. La loi supérieure de la morale, c’est donc l’expansion de la vie. De ce principe, notre auteur déduit les conséquences suivantes :

1o Le devoir, au point de vue de la science, n’est qu’une extension du pouvoir d’agir : 1o équivalent.

2o Le devoir, c’est encore le sentiment de l’identité qui existe entre la pensée et l’action : 2o équivalent.

3o Le devoir peut être remplacé par une fusion croissante des sensibilités et le caractère toujours plus social des plaisirs élevés.

4o On peut remplacer l’idée du devoir par l’amour du risque physique, ou chercher le danger pour le plaisir de le chercher. Le devoir ressemble à la passion du jeu.

5o On peut remplacer le devoir par le risque métaphysique, c’est à-dire supposer, sans en être sûr, que la vertu est récompensée et le vice puni, et agir en conséquence.

Peut-être ces théories plairont-elles à certains philosophes de profession, à des hommes qui aiment avant tout à manier la logique et l’analyse. Peut-être plairont-elles à ces gens qui sont philosophes à la mode moderne, c’est-à-dire qui croient que l’on ne doit tenir aucun compte des traditions, des croyances universelles et des notions communes du bon-sens, et qu’il est permis au premier venu de construire, par la logique, un monde tout différent du monde réel.

Mais je laisse de côté ces théoriciens, et je m’adresse aux gens pratiques, à ceux pour qui la morale n’est pas une affaire de pure spéculation, à ceux qui veulent pratiquer la morale eux-mêmes, qui veulent choisir des amis qui la pratiquent, qui veulent, s’ils sont pères de famille, l’inculquer à leurs enfants. Eh bien, à ces hommes je ne crains pas de faire un défi. Lisez, leur dirai-je, si vous en avez le loisir et le courage, la Morale d’Herbert Spencer ; lisez la Critique des systèmes de morale contemporains de M. Fouillée ; lisez la Morale sans obligation ni sanction de M. Guyau, et je serai bien surpris si vous trouvez dans ces livres une phrase, une raison, un motif qui remplace à un degré quelconque pour vous-mêmes, ou pour ceux que vous voudrez instruire, cette vieille et simple formule « cela est mal », ou « Dieu l’a défendu. ? »

Quant aux logiciens sophistiques qui se disent philosophes et veulent remplacer le devoir, je leur dirai : Vous entreprenez une tâche impossible, vous poursuivez une chimère. On ne remplace pas le devoir. On ne peut trouver dans le relatif un équivalent à l’absolu. Prenez tous les corps ensemble, vous ne ferez pas une pensée, a dit Pascal. Prenez toutes les raisons d’intérêt, de sympathie, de sen-