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Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/51

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il est même plus favorable que d’autres à Darwin, puisqu’il concède l’existence même de la sélection naturelle, que d’autres contestent. Mais l’hypothèse qu’il préfère pour l’origine des espèces n’implique pas, comme celle de Darwin, le passage graduel et la continuité absolue du progrès d’un type à un autre. Tout au contraire, les phénomènes auxquels il fait allusion, à savoir les faits de reproduction étrange des êtres intérieurs, désignés par le nom de métagenèse, métamorphose, générations alternantes, consistent précisément dans des changements brusques d’une forme à une autre. Il est donc possible, même en admettant le transformisme, de croire qu’il y a dans la chaîne des formes organiques des passages brusques d’un type à un autre et des ruptures de la loi de continuité. On voit par là combien cette loi de continuité progressive, principe nécessaire de la morale évolutioniste, est loin d’être une vérité scientifique. Elle n’est pas démontrée, elle n’est même pas vraisemblable en ce qui concerne les animaux. À combien plus forte raison est-il permis dé l’écarter quand il s’agit de l’homme, c’est-à-dire d’un être qui présente des caractères spéciaux si marqués et des facultés si évidemment transcendantes.

Ce n’est donc pas contre la science que le spiritualisme doit lutter, c’est contre une fausse philosophie, et le terrain véritable du combat entre la morale éternelle et la logique sophistique qui cherche à la détruire n’est pas changé.

Sachons donc refaire l’œuvre de Socrate. Sachons contempler en nous-mêmes ces idées éternelles, et nous ne douterons pas de leur vérité. Ne négligeons pas la science qui étudie l’homme par le dehors. Étudions le corps et le cerveau, mais étudions aussi l’âme. Servons-nous du scalpel, mais servons-nous de la conscience et de la réflexion. Étudions les instincts de l’animal et les lois de l’hérédité, mais étudions aussi les caractères spéciaux de la nature humaine, les facultés supérieures qui permettent à l’homme de connaître l’univers, d’accumuler la science des générations passées et de s’élever jusqu’à l’infini.

En appliquant ainsi dans toute son étendue le principe de la sagesse antique Connais-toi toi-même, nous verrons disparaître, devant le grand jour de la vérité, ces doctrines basses et dégradantes, et nous reconnaîtrons que les monstres qui nous effrayaient de loin n’étaient que de vains fantômes, et que rien n’est ébranlé dans les anciennes croyances sur lesquelles reposent la conduite de la vie humaine et la stabilité des sociétés.