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Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/281

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tion, composition ou conversation, son génie naturel la portait, ou plutôt l’emportait au but, tout d’un trait, de plein saut, au hasard des difficultés, et l’exposait ainsi à dépasser quelque peu la mesure de l’actuel et du possible. Elle était la première à s’en apercevoir, et la plus choquée du mécompte ; son admirable discernement du vrai, du réel, de ce qui se cache au fond des choses et au fond des cœurs, l’éclairait d’une illumination subite, la perçait du même coup, comme d’un vif aiguillon ; les retours étaient brusques, les réactions franches, comme on dirait en mécanique, en chimie, en médecine, et, le plus souvent, le dédain des précautions à prendre pour couvrir le retraite, pour ménager les transitions, faisaient beau jeu à la médiocrité envieuse et maligne contre l’esprit supérieur.

Je suis fermement convaincu qu’en y regardant de près, on trouverait au fond de tous les torts réels ou supposés, et supposés pour la plupart, qu’on a bien ou mal à propos imputés à madame de Staël, cette lutte entre deux qualités éminentes qui la dominaient tour à tour, au lieu de se limiter, de se tempérer mutuellement ; c’est ce qui rendit son existence orageuse, c’est ce qui rendait