Aller au contenu

Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Werther, de tous les René, de tous les Adolphe dont notre littérature a été infectée depuis lors.

Je n’ai jamais aimé les romans : les grandes beautés qui s’y rencontrent, de loin en loin, m’y semblent déplacées et dépaysées ; c’est, à mon sens, un genre faux et pernicieux ; il énerve les caractères sans les ennoblir ; il déprave les imaginations en leur donnant le change. À l’idéal de la vie privée, qui, s’il existe, doit être, comme elle, sobre et modeste, simple et sévère, il substitue un idéal d’emprunt et de commande, où les grands traits de la poésie, travestis en jargon du jour et de l’heure, où les grands personnages de l’histoire, taillés, rognés sur le patron de notre voisin, manquant d’air pour respirer, et d’espace pour se mouvoir, cheminent terre à terre et piétinent plutôt qu’ils ne s’élèvent, où la passion dégénère en marivaudage, lorsqu’elle ne tourne pas en frénésie.

Mais, de tous les romans, ceux que j’aime le moins, ou, pour parler sincèrement, ceux qui me déplaisent le plus, ce sont les romans confessions, où l’auteur, sous le nom de son héros, se déshabille moralement devant le public ; étale aux yeux, avec une orgueilleuse componction, les misères et les guenilles de son âme, comme les mendiants,