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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/209

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TENUE EXTÉRIEURE
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un profit moral ou matériel certain du mal sur lequel on vient d’appeler son attention.

Nous ne pouvons supposer, d’ailleurs, qu’un correcteur peut avoir l’esprit ainsi façonné qu’une remarque justifiée, faite d’un ton pondéré, par un chef auquel on ne peut refuser le sens de l’opportunité et de la justice, provoquera un accès de colère, de rancune, ou même simplement de mauvaise humeur. Nous ne sommes point de ceux — certains estimeront cette attitude un travers de notre esprit — qui « font claquer leur pupitre » : ce geste nous paraît ressembler quelque peu à celui d’un écolier frondeur et mal élevé qu’un pensum légitime retient sur son banc, la classe terminée. Tout travail comporte des responsabilités et des avantages : l’employé qui n’est jamais satisfait des uns, cependant conformes à ses droits et à ses intérêts, et qui refuse d’accepter les autres, bien que légitimes, ne saurait se classer parmi ceux dont le concours est celui d’un véritable collaborateur.

Nous ne sommes plus au temps où un correcteur, après avoir « collationné et châtié » le texte de l’ouvrage dont la correction lui avait été confiée, pouvait, s’indignant des nombreuses erreurs qu’il relevait encore, l’impression terminée, écrire à son libraire[1] : Cum hisce diebus agerem, rogasti Metamorphoseon opus relegerem, additurus si congruum videatur non nihil. Relegi, adjecique annotatiunculas nostras atque in ordinem alphabeticum notatu digna collegi castigavique subinde quæ inversa offendi : sed (quod moleste fero) tanta est multorum negligentia ut sæpe error novissimus sit primo pejor. Tu vero, si me amas et secundum opellam a nobis exiges, perspicies. Hanc autem tuo nomini penitus destinatum dedico eidem. Vale. Ad 15 Kalendas junias anni 1501. — Ce correcteur s’appelait, il est vrai, Josse Bade.

Si un patron prend tant de souci de faire connaître à ses correcteurs les plaintes formulées à leur encontre, pourquoi, en bonne justice, ne pas leur communiquer les éloges qui, parfois — oh ! si rarement, il faut en convenir — peuvent leur être adressés. « La satisfaction morale est-elle donc dans notre corporation tenue pour si peu de chose ? »

  1. Iodocus Badius Ascensius Iacobo Huguetano fido ac probo Bibliopole ac civi Lugdunen, Salulem. — Avis daté du 19 novembre 1501, placé en tête des Métamorphoses d’Ovide, imprimées par Nicolas Wolf, de Lyon, pour Jacques Ier Huguetan, libraire à Lyon, de 1492 à 1523.