Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/225

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À tout prendre — il faut bien tirer quelque profit même des minimes dénigrements — M. Anatole France reconnaît au moins la valeur intellectuelle des protes ou, plus exactement, et sans orgueil mal placé, celle des correcteurs.

La part de l’exagération ne saurait d’ailleurs être oubliée ici. Les auteurs savent la grammaire, l’orthographe mieux qu’ils ne veulent le dire et le laisser supposer ; mais ils ne prennent ni le temps ni la peine de se corriger. S’ils n’ont souci de l’orthographe et de la grammaire, ils ne se « moquent » point du style ; ils ne sont point de ceux qui disent : « À quoi bon tant de façons ? On se fait toujours comprendre. » Tout au contraire, leur grande, leur seule, leur unique préoccupation est de se faire toujours comprendre. Par expérience — parce qu’ils ont lu, qu’ils ont étudié, qu’ils ont comparé — ils sont certains que parfois on ne se fait pas toujours bien comprendre. Ils connaissent l’histoire de ce Monsieur qui déclare emphatiquement que « Tout Arpajon l’écoute la bouche ouverte, comme un imbécile ». Évidemment, cet intellectuel manqué ne peut supposer qu’il ne se fait pas bien comprendre : sa dose d’intelligence, des plus restreintes, ne lui permet pas de supposer qu’Arpajon retournerait aisément à l’adresse de l’auteur un qualificatif des moins flatteurs.

Non point qu’il faille soutenir que, même dans les questions de style, nos grands écrivains sont impeccables. Ce serait certes aller trop loin, et il faut se garder sur ce point de toute exagération. Il est extrêmement rare qu’un auteur, si réputé qu’il soit, n’ait quelque part commis quelque négligence. Doit-on s’en étonner et s’en indigner ?

Le correcteur ne peut ignorer qu’un chapeau haute forme à bords plats, une impeccable cravate Lavallière ne sont point parfois sans une légère tache de poussière. Parce que l’on admire le chapeau, parce que l’on envie la cravate, est-il nécessaire, pour un malencontreux grain de sable, de crier au scandale ? — Le style est le vêtement de la pensée ; les gens qui sur ce point se montrent les plus exigeants pour les autres sont souvent ceux qui en médisent le plus pour eux-mêmes ; mais ils n’en médisent à leur égard que parce qu’il leur est impossible d’obtenir la valeur de l’étoffe et la qualité de la coupe.

Le correcteur n’a donc pas à s’indigner des erreurs d’un écrivain.