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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/483

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les collaborateurs de Plantin[1]. » « Il peut être considéré comme le phénix des correcteurs morts et vivants. Il savait que la correction est à l’art typographique, suivant l’heureuse expression d’Henri Estienne, ce que l’âme est au corps humain : elle lui donne l’être et la vie[2]. »

De quelles rancœurs contenues, de quelles amères déceptions, de quelles longues désillusions Kiliaan ne devait-il point supporter la lourde charge. Pour en donner une idée sommaire, il nous suffira de conseiller la lecture de son Bibliopola et de son Typographus Mercenarius, dont nous nous contenterons de rapporter ici les quatre derniers vers :


Noster alit sudor nummatos et locupletes
xxxx Qui nostras redimunt, quique locant operas ;

Noster alit sudor te, Bibliopola, tuique
xxxx Consimites, quibus est vile laboris opus.

Combien cependant modérée cette plainte qu’il exhale dans l’épigramme en vers latins qui nous est parvenue et dont nous donnons d’abord la traduction :

« Notre métier est de corriger les fautes des livres et de marquer les endroits défectueux ; mais un méchant brouillon qui entasse faute sur faute et accumule les tournures barbares, dévoré qu’il est par la maladie d’écrire, altère par des ratures le texte qu’il nous apporte et souille le papier. Il ne met pas neuf ans à cette besogne, il ne s’inquiète pas de polir son travail, mais il se hâte de faire imprimer ses vaines rêveries par des presses actives. Quand elles ont paru, si quelques savants déclarent qu’il a écrit sans l’aveu des Muses et d’Apollon, le brouillon enrage ; et, pour se défendre par tous les moyens possibles, il s’en prend au correcteur. Eh ! lourdaud, cesse donc d’imputer au typographe un tort qu’il n’eut jamais. Dis, ce que ton livre contenait de bon l’a-t-il gâté ? N’entends-tu pas ?… Tiens, désormais, brouillon, lèche toi-même tes petits. S’aviser de corriger les fautes d’autrui, c’est s’attirer des mécontentements, jamais de la gloire. »

Officii est nostri mendosa errata librorum
Corrigere, atque suis prava notare locis.

  1. L. Degoorges, la Maison Plantin à Anvers, 3e éd., 1886, p. 64.
  2. Id., Ibid., p. 60.