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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1934.djvu/352

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inscriptions prises au hasard, on constate rapidement combien bizarres et baroques sont les coupures de mots : elles se faisaient sans aucun souci des règles épellatives, syllabiques ou étymologiques, mais simplement à l’endroit précis où la place dont on disposait ne permettait pas de loger la voyelle ou la consonne la première appelée[1].

Bien plus, même, et comme si ce n’était pas suffisant, les anciens avaient encore établi tout un système, fort compliqué, et assez embarrassant, ma foi ! pour nos typographes, d’abréviations figuratives, dont nous avons conservé quelques spécimens, auxquels nous avons donné, entre autres, les noms de monogrammes, de sigles, de ligatures, etc.

Au nombre de ces abréviations figuratives appartiennent les signes du Zodiaque, les planètes, les aspects, les médailles ou ordres, les signes de médecine, de botanique, de musique, les figures géométriques et combien d’autres encore, parmi lesquels il faut mettre en bonne place notre & (et), ne sont, à notre avis du moins, que des abréviations fort bien déguisées. Sous ce rapport, il est vrai, la typographie moderne et les écrivains actuels n’ont rien à envier à leurs prédécesseurs ; mais peut-être faut-il reconnaître ici que cette abondance de biens est plutôt nuisible en raison des confusions et, des erreurs qu’elle occasionne par trop fréquemment.

Quoi qu’il en soit, la division des mots, leur coupure pour mieux dire, existait avant Gutenberg, Fust et Pierre Schœffor ; ceux-ci ne purent que l’accepter, obligés qu’ils y furent d’ailleurs avec les types mobiles, par cette nécessité établie dès le premier jour d’une longueur de ligne uniforme, et par l’absence de lettres ou de traits pouvant prolonger le texte et éviter le rejet à la ligne suivante d’une partie de mot seulement. L’ellipse, elle aussi, fut conservée, et nous en retrouvons de nombreux exemples dans les premiers ouvrages imprimés qui sont parvenus jusqu’à nous.

Dès maintenant une question se pose : « Le signe de la division était-il exprimé ? » Nous ne le croyons pas. Les inscriptions grecques et latines, païennes ou chrétiennes, restaurées ou déchiffrées par nos savants, et ayant des coupures de mots en fin de ligne, ne contiennent pas le signe de la division[2] ; de même en est-il des manuscrits qui nous ont transmis les chefs-d’œuvre de la littérature antique. Le bon sens et l’intelligence du lecteur devaient sur ce point, comme au reste sur celui de la ponctuation, suppléer aux lacunes des parchemins.

Vers le milieu du xve siècle, à l’époque où déjà Gutenberg s’acharnait à la réalisation de l’invention qui devait révolutionner le monde, l’emploi du signe de la division ne nous paraît point encore d’usage courant[3]. Une page de

  1. Cependant, de nos jours, certains artistes se sont efforcés de faire revivre ces règles (!) anciennes.
  2. Voir Cours d’épigraphie latine, par M. René Cagnat (Fontemoing, éditeur, Paris).
  3. Peut-être cependant les manuscrits qui ont précédé l’apparition de l’imprimerie ou les premières planches xylographiques portaient-elles ce signe, sous quelque forme que ce soit d’ailleurs. Faute de documents aisés à consulter, nous n’avons pu nous livrer à des recherches suffisantes sur ce point, et nous le regrettons, car la question serait intéressante à élucider.