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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1934.djvu/614

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Il est cependant nécessaire d’accorder, dans une courte note, l’honneur d’une simple mention au vers libre, mis en pratique de nos jours par certaine école prétendue rénovatrice[1].

Débarrassé des prescriptions gênantes et des répétitions d’une même forme fixe, un poème en vers libres ne se compose plus que d’une suite de vers aux mètres les plus divers, allant jusqu’à 13, 14 et même 15 syllabes :

MaiL’avenue comme un lit de fleuve aux berges plates
MaiEntre des pentes aux gazons tins et miroitants
MaiEt jusqu’aux bois, aux lignes là-bas, de mers lointaines
MaiEntre des arbres et des corbeilles écarlates,
MaiL’avenue, tel un cours de fleuve intermittent,
Roule et roule les sombres flots de ses ondes lumineuses.

À quelques poètes le vers libre est apparu comme le vers idéal, pouvant, sans fatigue pour le lecteur, sans gêne pour l’auteur, suivre la pensée dans ses manifestations et dans toutes ses transformations ; à leurs yeux il a paru se plier à toutes les souplesses voulues.

49. Les rimes sont indéfiniment variées et entrelacées sans aucun ordre, suivant les exigences du vers ou la fantaisie de l’auteur :

Du souffle versLa pie jacasse…
Du souffle versSa voix poursuit
Du souffle versLes flots passants
Du souffleDes groupes d’âmes basses,
Du souffleQui vont, qui vont, qui vont
Du souffle versDans tous les sens
Du souffle versatile et du mesquin esprit.
Du souffle versLa pie jacasse…

50. D’une manière générale, toutes les règles de la composition typographique proprement dite, qui seront exposées dans un instant, sont applicables aux vers libres.

  1. Il ne saurait nullement être question ici d’assimiler le vers libre, tel que l’entendit le xixe siècle, au vers libre tel que le pratiquèrent nos grands poètes du siècle de Louis XIV. — À cette époque, on appelait vers libres les vers dans lesquels on entremêlait différentes mesures ; les rimes étaient croisées, parfois redoublées. Les exemples les plus typiques et les plus remarquables que l’on puisse citer dans ce genre sont les Fables de La Fontaine et les chœurs d’Esther et d’Athalie de Racine. On voit qu’il y a loin de cette irrégularité régulière, à laquelle la liberté d’allure ajoute un charme nouveau, aux réformes prétendues novatrices de nos modernistes.